Concert Sunshine

SUNSHINE ! Cette si vivante et puissante nature, les poètes l’ont écrite, les peintres dessinée, les musiciens l’ont… enchantée en quelques remarquables oeuvres, et CALLIGRAMMES justement en … chanta, de Camille Saint-Saens à Britten, en passant par Charles Trenet, Debussy, Poulenc, les 27, 29 et 30 juin 2024!

Programme :

  • Yver vous n’estes qu’un vilain (Claude Debussy)
  • La blanche neige (Francis Poulenc)
  • Belle et ressemblante (Francis Poulenc)
  • Luire (Francis Poulenc)
  • Calme des nuits (Camille Saint-Saëns)
  • Five Flower Songs (Benjamin Britten)
  • Soleils couchants (Robert Ingari)
  • Lux Aurumque (Eric Whitacre)
  • Ain’t No Sunshine (Bill Withers)
  • Summertime (George Gershwin)
  • You Are My Sunshine (Jimmie Davis)
  • Pierre de soleil (Philip Glass)
  • To Be Sung of a Summer Night on the Water I & II (Frederick Delius)
  • Midsummer Song (Frederick Delius)

Estelle Béréau, direction


Note de programme par François Balanche

Un patchwork stylistique

Sunshine… Lumière, chaleur du soleil. Une façon, pour le chœur Calligrammes, de célébrer en musique la fin des mois maussades et les beaux jours à venir. Et, comme si la saison invitait à toutes les audaces, ce programme fait se côtoyer des œuvres qu’on imaginait mal frayer ensemble. Entre Claude Debussy et Jimmie Davis, entre Francis Poulenc et Philip Glass, l’écart semble grand – infranchissable, diront certains. Pourtant, le patchwork stylistique est moins déroutant qu’il n’y paraît. Peut-être parce que, sous la disparate de surface, des liens secrets semblent relier ces œuvres les unes aux autres. Au contrepoint mi-moderne, mi-archaïsant de Debussy dans Yver, hommage à la chanson polyphonique de la Renaissance, répond le dense tissu de canons, miroirs et autres jeux d’imitation des Five Flower Songs de Britten. Aux rythmes harmoniques lents et éthérés du Lux Aurumque de Whitacre, font écho les répétitions hypnotiques de Glass dans Pierre de Soleil. Summertime de Gershwin et Ain’t No Sunshine de Bill Withers, aux mélodies lancinantes et puissamment expressives, semblent auréolés d’une même mélancolie. Et le Calme des nuits de Saint-Saëns trouve son prolongement naturel dans la sérénité de la première des Two Songs to be sung of a summer night on the water de Delius.

Une unité thématique

L’unité profonde de ce programme est cependant moins stylistique que thématique. Toutes les œuvres interprétées aujourd’hui présentent, en effet, la particularité d’avoir été inspirées par le thème du soleil. Un mot qu’il faut entendre ici dans un sens très large, à la fois littéral et métaphorique – comme nous y invite d’ailleurs la polysémie du terme anglais sunshine, qui désigne tout aussi bien la lumière et la chaleur du soleil qu’une forme de joie ou de bonheur (You Are My Sunshine, chante Jimmie Davis).

Or, cette « traduction » en musique du thème du soleil est bien moins intuitive que nous pourrions le penser. Car, de tous les arts, la musique est le plus impropre à imiter. Si le poète peut, sans trop de difficultés, chanter l’astre du jour, si le peintre est en mesure de le représenter avec un certain réalisme, le musicien, en revanche, aura la plus grande peine du monde à référer au soleil d’une manière dénuée d’ambiguïté. Voici une mélodie qui s’élance vers l’aigu, comme le soleil au-dessus de l’horizon. Mais qui me dit que cette mélodie réfère précisément au lever du soleil, et pas à un envol d’oiseaux, à un lâcher de ballons, ou à tout autre processus ascensionnel ?

 

 

Cette difficulté, les musiciens se sont ingéniés, au fil des siècles, à la contourner. Ils ont, pour ce faire, élaboré diverses stratégies. Dans les œuvres de musique vocale interprétées aujourd’hui, l’une des plus utilisées est l’alliance avec le verbe. Le poème, dont le sens rejaillit sur la musique, est un précieux appui pour le compositeur. Il permet en effet de contourner l’éternel problème de l’ambiguïté musicale (« Sonate, que me veux-tu ? » se demandait Fontenelle…) La musique, à son tour, enrichit le poème en en amplifiant le sens. Mis en musique, les contrastes à l’œuvre dans le poème – entre le jour et la nuit, l’été et l’hiver, la félicité amoureuse et la peur de l’abandon – s’offrent sous la forme d’oppositions d’autant plus saisissantes qu’elles sont immédiatement perceptibles. Voyez comme le contrepoint d’une grande douceur que propose Debussy pour chanter l’ « esté », « plaisant et gentil », se mue en quelques secondes en une musique rude, hérissée d’accents, presque violente, dès lors qu’il est question de l’ « yver », « plein de nège, vent, pluye et grézil ». Ou comment, chez Saint-Saëns, la nuance forte de « l’éclat du soleil, la gaité, le bruit », s’oppose à la douceur du « calme des nuits » qui l’environne. Écoutez les harmonies diaphanes de Whitacre sur le mot lux (lumière) et la descente vers le grave sur gravisque (lourd, dense). L’on pourrait multiplier les exemples – nous en trouverions des dizaines rien que dans les pièces de Poulenc et de Britten…

La prose du monde

Les œuvres qui composent ce programme nous parlent du soleil, de la nuit, de la pluie, de la végétation luxuriante, du sentiment amoureux. Elles illustrent musicalement des poèmes, qui eux- mêmes renvoient à des aspects variés du monde et de l’expérience humaine. Est-ce à dire que ces œuvres sont moins « pures » que des pièces strictement instrumentales ? La question est oiseuse : il n’existe pas de « musique pure ». Ce que nous rappellent ces morceaux, c’est que la musique est toujours prise au sein d’un monde qu’elle contribue, aux côtés de la littérature ou de la peinture, à représenter avec ses moyens propres. En exaltant « la prose du monde », ces pièces vocales tissent d’invisibles et innombrables liens entre l’homme et son environnement. Mais aussi entre l’homme et les hommes, puisqu’il y est souvent question d’expériences partagées (le plaisir que procure la caresse du soleil, la douleur qu’engendre un froid mordant, le transport amoureux…) Elles ouvrent en définitive sur ce paradoxe : en nous parlant de la nature, la musique nous renforce dans notre humanité.

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